dimanche 29 mai 2011

Le fermier et le chimiste

Depuis la deuxième guerre mondiale, 100 000 molécules chimiques ont envahi notre environnement, principalement notre alimentation. En même temps, le cancer, les maladies neurologiques ou auto-immunes, le diabète et les dysfonctionnements de la reproduction n'ont cessé de progresser.

Quelle est la responsabilité de l'industrie chimique dans cette épidémie de maladies chroniques? C'est la question sur laquelle a enquêté pendant deux ans la journaliste française Marie-Monique Robin, celle-là même qui nous avait donné Le monde selon Monsanto. J'ai eu la chance de la rencontrer et de parler avec elle de son travail.

Son enquête retrace le mode de production, de conditionnement et de consommation des aliments depuis le champ du paysan jusqu'à notre assiette. Elle décortique le système d'évaluation et d'homologation des produits chimiques et démontre qu'il est défaillant et inadapté. C'est le constat qui me renverse le plus: la complicité des organismes publiques sensés protéger les gens.


On pourrait arguer que nous n'avons jamais été aussi abondamment nourris et que l'espérance de vie n'a jamais été aussi élevée. On dira aussi qu'il est impossible d'établir un lien directe entre une molécule à laquelle nous avons été exposée à un moment de notre vie et le cancer que nous développerons à un autre. Bien sûr.

En même temps, le tout-à-l'industrie doit cesser. Il n'est plus pensable de penser que les produits que l'on utilise dans les champ n'ont aucun effet sur notre santé et celle de notre planète. Nos sociétés démocratiques doivent avoir la liberté de mettre en place des agences de réglementation efficaces et libres d'influences.

Les informations que déterrent la journaliste ne sont pas faciles à entendre. Elles sont inquiétantes, décourageantes. Des solutions individuelles sont à notre portée, mais encore faut-il les entendre et, souvent, avoir l'argent ou le temps nécessaire pour les appliquer.

Le réel changement doit passer par une prise de position citoyenne. Dans certains pays d'Europe, ils y arrivent mieux que nous, preuve qu'une autre façon existe bel et bien.

Le documentaire de Marie-Monique Robin sera présenté dimanche 5 juin à Télé Québec. Notre poison quotidien, c'est aussi un livre, publié chez Stanké.

La journaliste a un blogue sur lequel, entre autre, elle répond aux critiques que son documentaire suscite.

lundi 23 mai 2011

Les voisins et l'idée de Dieu










- Ma mère veut savoir si vous êtes des chrétiens pratiquants, m'a lancé le petit G., notre voisin d'en face et meilleur ami des gars.

- On est des athées, a répondu du tac au tac mon fils, le grand.

- Euh, bon. Disons qu'on est des chrétiens non pratiquants. En fait, on était des chrétiens. Mais là non. On n'est pas autre chose non plus. Sauf qu'on ne pratique vraiment pas mais... (et j'ai arrêté parce que je me faisais penser à Élvis Gratton. Un Québécois-franco-canado-américain-du-nord)


G. et sa famille sont arrivés dans le quartier l'été dernier. Ils viennent du Liban. Ils sont au Québec depuis 2 ans. Le père est ingénieur en télécommunications mais il travaille comme représentant pour une grosse entreprise alimentaire. La mère est à la maison et s'occupe de ses trois enfants.

Vendredi, G. arrive à la course chez nous.

- Dimanche, je fais ma première communion. Mon père vous invite pour le gâteau. À 19h00!


À ma première communion, j'avais une robe blanche faite par ma mère avec un petit imprimé de fleurs violettes. Des barrettes mauves en forme de papillon. Mes parents n'étaient pas pratiquants. Comme la plupart des boomers, à l'âge adulte, ils ont mis la religion de côté, mais pas tous les rites. J'ai donc fait ma première communion parce que c'était comme ça, tout le monde la faisait.

Hier à 19h00, nous avons traversé la rue avec une carte et un petit cadeau pour G. C'était la première fois que j'entrais dans l'appartement en face de chez nous. Il y avait une vingtaine de personnes, toutes de la même Église maronite, rassemblées pour souligner la première communion de G., tout gommé et chic dans son habit argenté un peu trop grand.

Le père de G. nous a accueilli avec un grand sourire, des noix et du vin. Sa mère est arrivée avec un gâteau immense. Deux étages, blanc avec des fleurs en sucre bleues et blanches, orné d'une croix et d'un petit garçon qui prie. Albert avait les yeux comme ça, je te dis pas. Ensuite, ils ont chanté "félicitations". Les enfants ont mangé leur part et encore leur part. Il y a eu des cadeaux pieux et finalement nous les adultes, on a parlé. Du Liban, de la vie d'immigrants, du Québec. Ça parlait arabe, français et anglais. Douce soirée de printemps dans un quartier de Montréal.

Plus tard, de retour à la maison, mon chum couchait notre fille et j'étais au lit à lire. De l'autre côté du mur, la voix sérieuse de mon fils aîné:

- Maman, j'ai une question...


Je lui ai fait une place dans mon lit. Il était suivi de ses frères, deux petites souris qui se sont installées à nos pieds.

- Comment ça se passe, une première communion?


Alors j'ai expliqué. La mort de Jésus. Le dernier repas. Ceci est mon sang. Les sacrements, l'hostie, le calice, le tabernacle.

Écroulement général de rires.

Le corps du Christ.

Le Québec a changé Madeleine. La vie de mes enfants, déjà tellement différente de celle que j'avais à leur âge. C'est ce que nous avons choisi. Mes fils ne porteront jamais d'habit argenté et ma fille de robe de dentelle blanche. Ils ne savent pas ce qu'est un chapelet et confondent pape et curé.

Par contre, ils traversent sans problème la rue pour partager le gâteau de première communion de leur meilleur ami qui vient du Liban.

Amen.

vendredi 20 mai 2011

Les bonbons du vendredi

Le vendredi, mes garçons arrivent en autobus. Ils viennent tout juste de rentrer là. Et le vendredi, je les attends avec des bonbons. De toutes les couleurs et de toutes les textures. À l'épicerie, je choisis mes bonbons et j'imagine la tête qu'ils vont faire. Ça me rend heureuse.

Les bonbons du vendredi.





Quand j'étais enfant, ma grand-mère gardait ses bonbons dans une immense jarre. Dans mon souvenir, la jarre avait la forme d'un ourson. Brune. Très lourde. Elle la rangeait dans le garde-manger. Juste au milieu, sur la tablette la plus haute.

Le dimanche lorsqu'elle sortait la jarre, tous ses petits-enfants tournoyaient autour d'elle. Elle nous la tendait et on y plongeait notre main à la recherche de la plus grande quantité possible de bonbons.

Ça semble mignon comme ça, mais c'était la guerre. Parce que j'étais parmi les plus jeunes. J'avais les plus petites mains. Et j'étais la seule fille.

Mes cousins les plus vieux n'avaient aucun scrupule à écraser les petits et encore moins les filles. Avec leurs grandes mains, ils raflaient les meilleures prises. À moins qu'une tante n'intervienne, nous les petits, on était pris avec les clannedacks.

La jarre de bonbons de ma grand-mère, ce que j'en ai rêvé. J'ouvrais le garde-manger à son insu, je gravissais les tablettes et je plongeais ma main dans cette jarre. Seule. Tous les bonbons du monde dans cet ourson.

Aujourd'hui je pense plutôt à ma grand-mère. J'aurais aimé la voir acheter les bonbons à l'épicerie. Si ça la rendait heureuse: "Ah tiens, des suçons. Et des rockets, ça fait longtemps! Est-ce qu'il me reste de clannedacks pour les petits?".

J'aurais voulu l'observer ensuite pendant qu'elle les plaçait dans sa jarre. Je me demande si elle le faisait en pensant à nous, ses petits-enfants. À moi, sa petite-fille aux petites mains.

Parce que moi, quand je sers les bonbons du vendredi, c'est immanquable: je pense à elle.

jeudi 12 mai 2011

Le juste prix

Du homard à 4,99$/lb, ça ne doit pas laisser grand chose à celui qui le pêche, hein.

Les producteurs de fruits de mer refusent d'acheter le homard des pêcheurs terre-neuviens, car ils jugent que les prix sont beaucoup trop élevés.

Alan Hackett, qui pêche le homard depuis 38 ans, affirme que les pêcheurs sont inquiets, alors qu'ils étaient pleins d'espoir au début de la saison. Les prix fixés par un comité indépendant s'annonçaient très bons pour les pêcheurs, environ 4,25 $ la livre.

Environ 6 millions de livres de homard sont pêchées chaque année à Terre-Neuve. Il s'agit de la principale source de revenus pour bien des pêcheurs.

Radio-Canada, 4 mai 2011


Y'a pas de mot pour dire comme j'adore le homard. Mon chum l'aime parce que j'aime ça. Ulysse parce que ça goûte la crevette. Les autres vont manger des croquettes de poisson. Et Blanche elle, ben ça lui fait peur. Presque comme les fourmis, c'est pour te dire.
Le prix du homard avait chuté de 50% en 2008 et 2009, partiellement en raison de la crise économique durant laquelle plus de 300 aides-pêcheurs ont perdu leur emploi. Cette réalité sera encore une fois amplifiée en 2011, tandis que les pêcheurs de homard de la côte Est du N.-B. vont devoir manœuvrer avec une augmentation drastique de 60% des prix du pétrole et de l’appât si l’on compare aux frais de 2010, et cela, suite à quelques années très difficiles depuis la crise de 2008.

Tu le sers comment chez vous? Dans le Maine, c'est avec un maïs. Et du beurre à l'ail. Je garde le beurre, mais je vais faire du riz. Et une salade.

La circulaire de Metro, qui entrait en vigueur hier, offre le crustacé à 5,99 $ la livre. «Au prix de la promotion, ça veut dire moins de 4 $ [la livre] pour le pêcheur», calcule Léonard Poirier, directeur général de l'Association des pêcheurs propriétaires des Îles-de-la-Madeleine, où la pêche a débuté lundi.

Avant même de s'octroyer un salaire, un capitaine a besoin de 4,75 $ la livre pour payer son bateau et ses frais de sortie en mer. À 5,25 $, il peut penser faire vivre sa famille. L'intermédiaire, qui paie le transport et la manutention, doit aussi se ménager un profit, tout comme le détaillant d'ailleurs.

Le Soleil, 8 mai 2009

Accompagné d'un vin blanc, c'est clair. Très frais. On va finir la bouteille même.


Ne faudra pas que j'oublie. De lever mon verre à celui qui nous l'aura pêché.

dimanche 8 mai 2011

Bonne et nutritive fête des mères








Maman tu es

Magnifique
Amusante
Devenue une mère de quatre enfants
Extraordinaire
La meilleure mère
Aimable
Imbattable
Nutritive
Étoilée

Victor


- Nutritive?

- Ben y'avait juste des mots comme nono, nounoune qui me venaient en tête...

- Nounoune? En pensant à moi?

- Ben non, c'est pas ça! Mais je trouvais pas de mot... Alors j'ai cherché dans le dictionnaire et j'ai vu nutritive. Pis c'est vrai. Regarde encore ce soir tu nous as nourri même si c'était la fête des mères.

Merci mon gars. Toi aussi t'es pas mal nutritif, tiens. Parce que tu me nourris d'amour tous les jours.

vendredi 6 mai 2011

Petits pots de confiture

Ça se passe toujours de la même façon. Quand il fait beau et que je sors sur mon balcon arrière pour étendre mon linge sur la corde, je vois dans le coin de mon oeil gauche madame J., là-haut, sur son balcon.

- Fais pas le saut quand tu verras madame J., m'avait dit mon homme l'hiver dernier, elle a beaucoup de mal à parler. On la comprend difficilement.

J'avais remarqué moi aussi qu'elle prononçait de plus en plus mal. De la paralysie? De la dysphasie?

Madame J., 91 ans, je ne l'ai pas vue de l'hiver.

Et puis le printemps est enfin arrivé. Celui qui ramène le soleil qui plombe sur ma corde à linge. Celui dont les vents sont assez chauds pour sécher deux brassées un même dimanche. Celui qui fait sortir les fleurs dans le jardin et les petites vieilles sur leur balcon.

Je l'ai vue dans le coin de mon oeil gauche madame J., mais je ne l'ai pas entendue. En voyant qu'elle agitait avec sa main un sac en plastique blanc, j'ai compris qu'elle avait de la confiture pour moi. Je suis descendue, elle aussi, nous nous sommes retrouvées à la porte de sa clôture. Un peu de mal pour ouvrir la porte, mais enfin, la voilà qui se tenait devant moi.

Elle a émis un son, quelque chose qui semblaient être des mots mais qui n'en étaient pas.

Madame J. ne peut plus parler.

J'ai pris le sac. "De la bonne confiture, madame J. Merci, vous me gâtez, comme toujours. Elle est à quoi?"

Un son qui ressemblait à un mot.

J'ai ouvert le sac. J'ai regardé l'étiquette sur lequel j'ai lu le mot "prune" et j'ai reconnu au même moment ce presque mot qui était sorti de sa bouche. Puis elle a mis sa main sur sa bouche.

" Vous ne pouvez plus parler madame J.?" Non qu'elle me fait de la tête avec un large sourire. "Mais vous faites toujours de la bonne confiture?" Elle a souri encore plus grand, hochant la tête et je l'entendais me dire "C'est ça!" avec son accent français.

"Alors c'est bien ma chance. Merci!"

Toujours énergique et me saluant de la main, elle a refermé la porte et grimpé les escaliers qui menaient à son balcon.

Madame J. ne parle plus. Elle ne pourra plus me dire comme toujours: "Le plaisir d'en donner, c'est le plaisir d'en refaire." Elle ne pourra plus me raconter comment elle a traversé l'océan de la France à chez nous avec ses quatre jeunes enfants. Je ne pourrai pas, comme je me l'étais promis, lui demander de m'expliquer encore une fois comment faire pour savoir si les fruits contiennent assez de pectine.

Nos conversations vont me manquer.

Des voix s'éteignent, Annie. Celles d'une génération de femmes qui ont consacré leur vie, toute leur énergie, à leur famille. Celles qui ont passé la plus grande partie de leur existence debout, au coeur de leur maison, dans leur cuisine, au service de leur famille.

C'est ce qu'a fait madame J. pour ses quatre enfants. Elle détient un savoir précieux, vivant, qui est important de cueillir et de conserver.

Je ne sais pas si ça change quelque chose, mais la voix de madame J., elle va résonner en moi pour toujours.