lundi 31 octobre 2011

Déjeuner en paix

Ah, qu'il fait bon être tranquille en congé un lundi.

Course matinale, petit clémentine, temps pour préparer des pains dorés, bon café au lait, iPad pour lire les nouvelles.

Tout invite à la détente.

Ou presque.

vendredi 28 octobre 2011

Le danseur

S. est arrivé sur le chantier ce matin avec son assurance, ses rouleaux et ses gallons. C'est le peintre. Et les peintres, ça plaît aux femmes.
- Je ne sais pas s'ils vous l'ont dit, mais vous êtes tombée sur le meilleur peintre en ville.
Ouais justement, ils me l'avaient dit. Apparence qu'avant que S. n'arrive dans l'équipe de B., ils faisaient la peinture eux-mêmes.
- On était toué gars avec nos rouleaux, pis ça pouvait nous prendre deux ou trois jours. S. est tout seul et il fait ça en moitié moins de temps. C'est le meilleur peintre en ville.
Je suis en train d'écrire, les oreilles ploguées sur le nouveau Coldplay, et je l'espionne discrètement du coin de l'oeil. Avec son rouleau, on dirait qu'il danse. En deux heures, il a fait tout le primer de l'étage et là, il progresse super bien dans ma cuisine.

Un beau grand gars, mi-trentaine. Visage anguleux, yeux bruns très profonds et des cheveux courts. Ça plaît aux femmes les peintres parce que ça parle notre langage. Un langage que généralement, nos chums refusent de maitriser.
- Je le sais-tu moi quelle couleur je veux pour mon garage! Arranges-toi avec la peinture, de toute façon, je suis daltonien, m'a renvoyée mon chum avec toute sa délicatesse.
S. lui, comprend ce genre de priorités:
- Laissez-moi aller, je vais toute vous expliquer. Dans la salle de bain, ça vous prend un fini perle. Avez-vous vos couleurs?
Ouan, je les ai mes couleurs.
Ça fait trois semaines que je m'arrache toute seule les cheveux à faire des cristies choix de couleurs. J'ai ressentie la même angoisse que chaque fois que j'ai eu à choisir un prénom pour mes bébés. Tsé, bin avant les solives du toit pis la dalle de béton, c'est une grosse responsabilité les couleurs de peinture!

Finalement ma cuisine/salle à manger sera Chat chartreux et Biscotti aux amandes.


L'entrée, j'ai osé un Cuivre poli.
Un Bloody Mary écoeurant pour la salle d'eau
et un magnifique Riz Frit pour ma salle de bain.
Pour la chambre d'Ulysse je voulais Volcan endormi, mais la vendeuse m'a convaincu de le remplacer par un Gris très pâle.


Et finalement, pour le garage de mon chum, S. m'a suggéré un magnifique Sauce Cardinale:


Le meilleur peintre en ville, j'te dis!

Jour 74

mardi 25 octobre 2011

Le changement

Mon grand change.

Victor : Comment ça moi j'ai seulement un tout petit peu d'omelette?

Maman : C'est parce que c'est une omelette au jambon ET aux champignons. Je pensais que t'aimais pas ça. Alors je t'en ai mis un tout petit peu.

Victor, en engouffrant l'omelette avec du pain baguette : Ben non maman, j'adore ça l'omelette. Ça fait longtemps. Est-ce que je peux en avoir d'autre?


Mon grand, mon difficile, celui qui ne veut jamais goûter, change.

Victor : Maman, tu sais quand j'ai dormi chez Z. l'autre soir? Ben, sa mère avait fait de la pizza. Et j'ai un peu aimé ça. On dirait que je me développe un goût.

Maman : T'aimes pas MA pizza mais tu aimes la pizza de la mère de Z.?

Victor : Je développe un goût, je te dis maman!

C'est beau voir le changement, même si parfois, comme parents, on a l'impression de pédaler un peu en arrière. Remarquez, ça change d'avoir l'impression de pédaler toujours en avant.

Victor : Papa, mets Radio Classique Montréal. Il y a un très bonne émission à partir de 21 h. Les plus belles musiques de films.

Papa : T'aime ça les musiques de films? Ça m'étonne...

Victor, un brin insulté : Ben oui, j'aime ça. Ça fait longtemps que j'aime ça. Pourquoi tu dis que ça t'étonne?

Papa : Je veux juste dire que je suis étonné. Mais agréablement étonné. C'est pas négatif, là. Je suis juste... étonné.

Victor : Ah, la la. C'est comme l'omelette aux champignons. Ça fait super longtemps que j'aime ça, mais ça vous étonne que j'en mange. C'est quoi là... La prochaine fois ça va être : "Oh... Bravo mon petit Victor! T'as mangé tous tes spaghetti!"


Éclats de rire. Mon fils change, mais il est toujours aussi drôle.

Maman : Dans le fond, tu nous dis que tu changes mon garçon?

Victor : Oui, je change. Depuis longtemps. Mais personne s'en rend compte.


On s'en rend compte, mon garçon, on s'en rend compte.

C'est juste qu'on veut pas le voir.

jeudi 20 octobre 2011

L'amitié

Une amie sait ce dont tu as besoin sans que tu n'aies à le lui dire.

Moral dans les talons. Convalescence de gastro. Maison en total bordel depuis trop de jours.
- Annie, on passe dans votre coin ce soir, êtes-vous là? J'ai vous ai préparé un petit quelque chose...
À l'heure dite, ils sont passés. Avec deux gros plats. Un souper plus un dessert. Pour toute notre gang.

Ce soir, on était plutôt rushés. Journée pleine au travail, hockey de mon fils et achats pour la maison à courir aux quatre coins de la ville.

Mais ça ne me dérangeait pas. Parce que je savais que le repas était fait.

Madeleine, merci beaucoup pour ton souper, c'était vraiment super bon.

mardi 18 octobre 2011

Daniel

D. ne stationnera jamais plus son immense pick-up beige en face de la maison.

Il ne sera jamais plus le premier arrivé sur le chantier à préparer le terrain pour ses hommes.

Jamais plus il n'installera de cuisine de brousse ou ne tentera d'acheter des enfants en leur offrant des Timbits.

Daniel a fait un AVC dimanche après-midi. La mort le taquine maintenant avec ses longs doigts dans le lit dans lequel il est cloué sans jamais avoir repris conscience. Il entrait tout juste dans la cinquantaine.

vendredi 14 octobre 2011

Un vendredi à la campagne

Tu es partie à la campagne pour le weekend Annie? Moi, j'y suis allée aujourd'hui.

Il ne faisait pas très beau quand on s'est levés ce matin. Il pleuvait. En regardant par la fenêtre, ma fille m'a dit: "Tu sais, maman, à l'école, on a étudié le cycle de l'eau." L'eau sur le sol qui s'évapore qui monte former les nuages qui éclatent sous les tonnerres et les éclairs que tombe la pluie sur le sol.

Un éternel recommencement.

Après déjeuner, on s'est préparés en vitesse, on était déjà en retard. On l'était encore plus quand on a pris place dans la voiture, de mauvaise humeur. Sur l'autoroute, j'avais l'impression qu'on fonçait dans le gris du ciel. Mais il y a quand même eu quelques éclaircis. Des faisceaux de lumière transperçaient les nuages comme si le soleil étirait ses jambes vers le sol.

Quand on est arrivés au monastère, la messe était déjà commencée. Les chants harmonieux des célébrants auraient dû nous apaiser tout de suite, sauf que les petits gars étaient fatigants. Ça gigote ces affaires-là, surtout quand il ne faut pas. Je me suis dit que ma soeur R. avait eu une foutue de bonne idée de ne pas emmener les siens d'enfants quand mon homme a dû sortir se balader pour sauver notre honneur familial.

Recueillement.

Quand on est entrés dans la petite chapelle, il pleuvait encore. Pas fort, mais quand même. Le père G. a parlé. D'autres personnes ont aussi parlé. Et puis, on a pleuré aussi, bien sûr. Larmes de tristesse et d'espérance. Larmes d'amour et de solidarité. Larmes de soulagement.

On était là pour dire au revoir à Gabriel, presque un an après son bref passage parmi nous.

"Je ne voulais pas vous regarder pleurer, m'a dit Victor. J'avais trop peur de pleurer moi aussi."

"C'est pas grave pleurer, mon gars. Parce qu'après, on se sent mieux."

"Après, on rit?"

"On peut même pleurer de rire."

Cycle de l'eau. Cycle des larmes.

Autour de l'endroit où on a mis en terre mon petit neveu, les enfants ont posé toutes sortes de questions. Je leur avais déjà tout expliqué: la cérémonie, l'enterrement, la petite boîte, les cendres, mais il faut croire qu'ils avaient encore envie d'en parler. Un éternel recommencement. Ça faisait du bien de tout répéter.

J'étais contente qu'ils soient là finalement.

Sur le chemin du retour, le ciel était encore couvert, mais ça me semblait un peu moins gris. Sur les montagnes qui nous entouraient, on voyait une brume blanche s'élever vers le ciel. C'était beau.

Et ce soir, j'ai dans mon lit la petite A., le bébé fille d'une autre soeur partie gagnée sa vie pour quelques heures. Petite née cet été apaiser nos coeurs. Quelle chance j'ai d'être entourée de ces précieux bébés. Ceux que j'ai portés dans mon ventre, ceux que je peux porter dans mes bras et ceux que je pourrai à jamais porter dans mon coeur.

Cycle de l'eau. Cycle des larmes. Cycle de vie.

Un éternel et apaisant recommencement.

Le pire

C'est sûr qu'on est pas des réfugiés au Soudan. Heille, on fait juste se payer le gros luxe d'une maison plus grande.

Malgré tout, j'ai un petit garçon qui ne trouve plus ça drôle du tout.

C'est comme ça que je l'ai retrouvé mercredi soir. En petite boule, caché derrière un fauteuil. Rien ne va plus. À l'école, à la maison; il confronte, il bloque, il conteste.
- LES MURS DE MA MAISON TOMBENT ET JE VAIS PERDRE MA CHAMBRE!
Petit coeur hypersensible, attaché à sa sécurité affective comme à une bouée de sauvetage, il perd tout ses repères. Du coup, on perd les nôtres aussi. Ulysse a besoin d'aide pour passer au travers de toutes sortes de changements, dont ces rénos qui bouleversent sa routine. Ce mercredi, c'était invivable.

Je pense qu'on en est à peu près au pire dans les rénos. À partir d'ici, ça peut juste aller mieux. Encore que, c'est dur à dire.

Je pensais qu'on atteignait le pire avec la perte de la salle de bain, puis celle de la cuisine, puis celle du salon. Mais plus tôt ce jour là, D. avait d'autres cartes dans son jeu...
- Madame, euh, faudrait vider le garde-robe des ptits gars. Pis votre lingerie. On va défoncer demain.
Alors c'est la perte du seul garde-robe des gars. Leurs vêtements sont maintenant empilés dans notre chambre.

Et vider une lingerie, tu les mets où les draps et les serviettes de tout le monde quand tu n'as déjà plus de place dans une maison déjà trop petite?

Tu les empiles à côté des vêtements de tes gars, déjà empilés dans ta chambre.

Et ce soir là, tu te couches après avoir fait ta vaisselle, après avoir tout rangé dans tes bacs, après avoir passé le balai et éternué ta vie dans la poussière de gypse. Plus tu te rapproches d'un semblant d'ordre (ou en tout cas, de moins de désordre), plus tu finis par te trouver chanceuse parce qu'il n'est pas encore 21h et que tu vas te coucher tôt.

Peut-être au fond que le pire est passé. Qu'à partir d'ici, ça peut juste aller mieux.

Et tu t'endors.

Mais là. Mais là...

À 2:37 ta fille se met à vomir. Aux 40 minutes jusqu'à 5:40. Quand tu n'as pas de salle de bain à l'étage. Quand ta lingerie est empilée dans ta chambre.

Et un moment donné, tu te dis fuck it.

En avez-vous un, vous autres, fond d'urgence?

Tu sais, un peu d'argent que tu mets de côté et que tu oublies là en prévision des vrais coups durs?

J'ai appelé au travail. J'ai fait une petite épicerie. Mis deux ou trois choses dans un sac en toile. Tout à l'heure avec Chinette, on va aller chercher les gars à l'école. On s'en va trois jours à la campagne. Pas de poussière. Avec un bain. Se coller toute la gang. Pis rire.

Dans une maison qui a du bon sens.

lundi 10 octobre 2011

La boîte de Timbits

D. est venu travailler aujourd'hui. Même si c'est férié.
- M'a finir la plomberie, pis j'aurai pas les autres din' jambes! m'avait-il dit vendredi avant de quitter.
Aucun problème que je lui ai dit, sauf que les enfants vont être là, eux. Tellement là que vous allez peut-être bien vous ennuyer de L. pis de toute votre gang...

Il est arrivé vers 8h alors que je préparais mon café. Il est entré timidement dans ce qui était jadis mon salon et qui est aujourd'hui un entrepôt de portes intérieures et un mini coin pour ma cafetière et mon micro-ondes.
- Bonjour Madame! Tenez, ça, c'est pour les enfants.
Ça, c'était une boîte de Timbits.

Mes enfants? Ils étaient au 7e ciel, "c'est le meilleur déjeuner qu'on a jamais eu!"

Une fois la boîte vide, Albi s'est approché de moi en la tenant contre son coeur. Il avait un secret. Il a attiré mon oreille près de lui et m'a chuchoté:
- Maman, je peux garder cette boîte? Comme souvenir de D...
Il essayait de les acheter tu crois?

Tsé la corruption dans le milieu de la construction? Bin c'est ça.

mercredi 5 octobre 2011

Souper de brousse trois étoiles

Tu écrivais hier que lors du premier repas dans votre maison en rénos, ton chum t'avait lancé: "On dirait que ça va mieux Madeleine! On arrive à cuisiner dans cette maison!"

Cuisiner dans une maison, c'est vraiment l'habiter. Cuisiner tout court, c'est la vie qui prend possession d'un espace.

Tiens, c'est une partie de ma cuisine de brousse.
Quand j'ai vu ça hier après-midi, j'avoue que j'ai quand même un peu soupiré. C'est L. qui m'a tout organisé. Avant de quitter, il m'a dit avec un sourire un peu piteux que tout était fonctionnel. Je pense qu'il m'a pris en pitié parce qu'il a passé l'aspirateur partout dans la maison.

J'ai soupiré, puis je me suis retroussée les manches. J'avais une heure devant moi. J'ai empli mon seau d'eau et j'ai lavé tous les planchers de l'étage. La poussière qu'il y avait là ma fille! J'ai changé l'eau cinq ou six fois.

J'ai fait la vaisselle du matin, j'ai tout rangé dans mes bacs et je me suis attaquée aux lunchs des gars. Ensuite, j'ai sorti mon encyclopédie Jehane Benoît et j'ai préparé mon plan de travail sur la table de la salle à manger.

C'est une fois debout devant ma cuisinière à faire dorer des lanières de boeuf dans un peu de beurre et d'huile d'olive que j'ai su que ça marcherait. Ouais, je vais arriver à cuisiner pour ma gang! Ça se peut.

On a eu un vrai bon souper. Je sais pas si c'est l'ambiance cuisine de brousse, mais tout le monde s'est resservi. Même si y'avait des champignons. Au milieu du repas, mon chum a déclaré:
- Les boys, Blanche, vous voyez de quoi à l'air notre cuisine? Ben malgré ça, ce soir, on mange mieux que 99,5% des gens qui ont une cuisine en parfait état!
J'avoue que j'étais rose de fierté.

Ce matin, quand D. a vu ma cuisine il s'est écrié:
- Criss de belle cuisine. Une fois vernis, ça va t'être écoeurant! Youhahaha!

L. était là, tout sourire. Mine de rien je lui ai lancé:
- En tout cas L., je sais pas ce que vous avez mangé chez vous hier soir,
mais nous autres, on a eu du boeuf stroganof pis du gâteau dattes et
oranges. Je dis ça de même.

C'est la première fois que je vois L. perdre son sourire. Tout d'un coup.

Que veux-tu, c'est parfois l'effet que je fais aux hommes...

Tu crois que si je lui promettais une part de gâteau, il travaillerait un peu plus vite?

mardi 4 octobre 2011

Rénovation 101

Tes histoires de rénovations, Annie, ça me fait penser à celles que j'ai déjà vécues, il y a fort longtemps. Quand je n'avais que deux enfants.

Mon homme et moi, notre première maison, c'était un duplex, bien situé, mais un peu trash. Quand on l'avait visité avec notre inspecteur, je me souviendrai toujours de ce qu'il avait dit: " La maison est bien correcte: le toit est en bon état, la brique est neuve, les fenêtres sont récentes ... sauf que... en dedans... ça fait dur."

Oui, elle faisait dur notre maison. Une cuisine avec des vieilles armoires usées. Un comptoir en mélamine magané. Un prélart fini. À peine assez d'espace pour une table et un salon adjacent qui comportait un "faux plancher": c'était un espèce de structure surélevé d'environ deux pieds, façon années 80, avec du tapis ras dessus. Une étrange amélioration. Il y avait du vert hôpital et du jaune bébé sur les murs.

Ça faisait dur, mais on s'en sacrait. On était jeunes, on était fous, mon homme a pris son croc-barre et il a tout défoncé. Et il a tout recommencé. Travaillé comme un bœuf pendant des mois pendant que je m'occupais des mômes dans un appartement pas loin.

Quand on y a emménagé, parce qu'il fallait bien le faire un jour, c'était encore un chantier. Le plancher était verni, les murs étaient peints, l'électricité était filé, la plomberie était installée, on avait une toilette, un bain même, mais pas vraiment de cuisine. Ce n'était encore qu'un concept.

Il n'y avait pas d'armoires, pas de comptoir, pas d'évier, encore moins de lave-vaisselle, pas de garde-manger.

Le premier matin dans notre nouvelle maison, j'ai figé. Paralysée. Il y avait des boîtes partout, des meubles n'importe où. Je ne trouvais rien d'autres à faire que de pleurer à chaudes larmes, mes deux bébés à mes pieds. Tu vois le genre.

Heureusement, mon homme, lui, en situation d'urgence, il devient un superhéros.

Alors, il avait branché le four et le frigo. Il avait trouvé une petite table qu'il avait posée entre les deux. Ça me faisait un petit bout de "comptoir". Ensuite, il avait trouvé une petite bibliothèque, l'avait posée sur une autre petite table, ça me faisait une "armoire" pour la vaisselle. Ensuite, il avait patenté des étagères qu'il avait montées à côté du four. Ça me faisait un "garde-manger". Finalement, il avait branché l'eau chaude dans un évier... dehors dans la cour. C'est là que j'ai fait la vaisselle pendant la première semaine. C'était ça ou le bain.

Le soir même, je faisais le premier des nombreux repas que j'ai cuisinés dans cette maison. Quand mon homme avait senti l'odeur du souper, il s'était écrié, je m'en souviens clairement : "On dirait que ça va mieux Madeleine! On arrive à cuisiner dans cette maison!"

C'est peut-être à ce moment-là qu'on a su tous les deux qu'on était enfin chez nous.

**************

Pour laver la vaisselle, évidemment, il fallait qu'on aille dans la cour. Comme il n'y avait pas de renvoi, j'avais un saut sous l'évier. Quand le saut était plein, je l'apportais à l'égout dans la ruelle et je le vidais. J'étais un peu gênée quand ma locataire d'en haut sortait sur son balcon.

Au début, j'ai bougonné, c'est clair. Puis mon homme, devant ma face boudeuse, m'avait dit qu'il était désolé et qu'il avait fait son possible pour que tout soit terminé, alors j'avais adopté un attitude plus courageuse. Au fond, j'étais pas plus mal que Maria Chapdelaine. Ou que toutes les femmes de défricheurs dans le fond de l'Abitibi. Fallait juste être patiente.

Quand même, heureusement que le mois d'octobre fut doux.

Une semaine plus tard, mon homme avait terminé de bâtir un grand ilot de cuisine dans lequel j'avais un immense évier... et un lave-vaisselle. C'est là qu'on a mangé nos déjeuners pendant plus de trois ans. Là que j'ai lavé les deux bébés qui sont nés dans cette même maison. C'est aussi dans cette cuisine que j'ai eu mon premier four acheté. Il était encastré, à convection, programmable. Le grand luxe. J'ai aussi eu un comptoir en érable, et des lumières encastrées tout partout. On y voyait bien.

Je l'ai eu ma cuisine de rêve. Jusqu'à ce qu'on vende la maison.

Je ne sais pas trop pourquoi je te raconte cette histoire. Ce n'est pas pour t'encourager, ni pour te décourager. Je dirais même pas que je retournerais à cette période de ma vie. J'en garde un souvenir réaliste.

Mais tout de même.

Je n'ai peut-être pas voyagé tant que ça dans ma vie. J'ai peut-être passé beaucoup de temps dans ma maison à élever des petits. Mais l'aventure, tu vois, je l'ai quand même vécue.

C'est juste que c'était quelque part sur la rue Chabot, en plein cœur de Montréal.

dimanche 2 octobre 2011

Présentations

Les gars du chantier, je ne les ai pas encore présenté. Depuis le 15 août, ils sont tellement là à s'incruster dans notre intimité, qu'on fini par... Comment dire... Bin de les voir jours après jour dans nos affaires, je vais te dire, ça créer une ambiance particulière dans la chaumière.


Voici B., l'entrepreneur. Décisions, factures, problèmes: tout passe par lui. C'est le premier qu'on a rencontré, en janvier dernier. Son calme et sa précision nous avaient plu. Dans un gros projet comme ça, on a besoin de quelqu'un qui sait garder son sang froid.

C'est un homme poli, sérieux, assez grand, à l'humour disons... discret. C'est le boss, mais il n'hésite pas à mettre les mains dans la bouette si nécessaire, ce qui lui vaut le respect de son équipe. Quand il parle, ça compte, alors t'as intérêt à lui apporter les bonnes réponses. Le problème, c'est que le 3/4 du temps, je n'ai aucune espèce de réponse à lui donner.
- Quand l'architecte est venu, quelles mesures il vous avait donné pour la hauteur entre la corniche et la solive de l'existant?

- Duh, blah, plllffft, flehhh...
C'est simple, chaque fois que B. me parle, j'ai l'air idiote. Et tu connais mes formidables capacités intellectuelles Madeleine, passer pour une cruche, j'ai jamais vraiment joué dans ce film là. Alors s'applique cette variante de la loi de Murphy: plus tu souhaites ne pas avoir l'air de quelque chose, plus tu en as l'air. Ce qui a fait dire à mon idiot de fils aîné:
- Cou'donc maman, es-tu amoureuse de B?

- ...

- Quand tu lui parles, t'as l'air gênée,
a ajouté son 2 watts de frère. T'es-amoureuse-de-B-euh!

- NON C'EST PAPA L'AMOUREUX DE MAMAN,
a hurlé Albert.

- Ouan. C'est votre père mon amoureux. Bon.

En tout cas. Lui là-bas, c'est D., le contremaître. C'est le premier sur le chantier, à 6h. Encore la tête dans l'oreiller, je l'entends stationner son immense pick-up beige en face de chez nous et sortir toutes ses affaires d'outils. Il prépare le terrain pour ses hommes.

Sur le chantier, quand il ne siffle pas, D. chante du Claude Dubois («fadel-twit-tedil-do-twit...») ou du Gerry Boulet («je suis celui qui frappe dedans la vie...»). Il est l'archétype du gars de construction: cigarette au bec, tatouages, cheveux en brosse, basané. Il appelle mon chum par son prénom, mais à moi, il sert du "Madame" gros comme ses biceps. Bon vivant, il a toujours le temps pour une jasette et possède un humour pour le moins douteux.
- Pu de toilettes? Câlisse y'a rien là tabarnak! Quand on construit des maisons neuves, on pisse din' boîtes à gyproc! Wouhahahaaa!
Je jurerais que B. a un peu de mal avec l'exubérance salace de D., mais moi je rigole et en plus, ça me fait plaisir de voir B. mal à l'aise.


Celui avec la salopette de travail, c'est G. L'ouvrier d'expérience. Tête grise, il est grand, mince et timide. Dans une autre vie, je l'imagine bibliothécaire. Dans un monastère au Moyen Age, genre. C'est un artiste, en tout cas il nous le dit souvent.
- Je vais vous arranger ça, vous allez voir ça va être beau. Je suis un artiste!
Toujours discret, on dirait qu'il marche continuellement sur la pointe des pieds. G. est vraiment trop gentil.
- Oh, dérangez-vous pas madame, dit-il de sa voix douce en entrant dans la maison avec sa chaisaw, je viens juste enlever la fenêtre de votre cuisine...

Puis finalement ici, c'est L., l'ouvrier le plus jeune. Lui et G. sont les premiers qui sont arrivés sur le chantier, en août. Cette journée là, L. nous avait dit en souriant:
- Vous pis moi, on va se voir pas mal souvent!
Avec sa casquette toujours vissée sur la tête, mes gars l'ont adopté. Il est très doux et a toujours du temps pour eux.
- Je parlais avec L, dit fièrement Albert, on discutait de la maternelle.
Notre maison est le plus gros projet de rénovation sur lequel L. a travaillé. Souvent, il nous accroche pour qu'on vienne voir à quel point ça avance:
- Ça va être ben beau han!
Lui-même n'est pas déplaisant à regarder. Il a toujours le sourire. Même avec la scie ronde, concentré à faire des angles impossibles. De toute l'équipe, c'est le seul qui nous appelle tous les deux par notre prénom. Ce qui plaît à mon social butterfly de chum:
- Tu trouves pas que L. est vraiment sympathique? me dit-il alors qu'on était tranquilles dans le lit. C'est un bel homme aussi, non?

- COU'DONC, es-tu amoureux de L.?!?

-
(voix de l'autre côté du mur) NON, C'EST TOI L'AMOUREUSE DE PAPA!

Tsé quand on dit que les rénos sont difficiles sur la vie d'un couple... Bin c'est ça.